Egun on1!
Il y a de cela plusieurs années, j’étais invitée au mariage d’un “copain de loin”. L’ambiance était très bon chic bon genre. Imaginez une abbaye pas loin de l’océan, un long cocktail pendant lequel une cantatrice nous chante quelques airs que l’on écoute mollement, coupe de -très bon-champagne à la main tout en s’éventant, l’air las. Il y avait plus d’une centaine d’invité·e·s entre la mairie et église, toustes sur leur trente et un, et tout ça très très hétéronormé. Les invitées étaient en robe et talons (bien sûr) et maquillées malgré les températures de juillet tandis que les invités arboraient plus ou moins fièrement leur costume, la chemise légèrement moite sous la veste bien coupée, le mouchoir plié dans la poche qui sert à éponger, discrètement, la goutte de sueur qui perle quand, le soleil encore haut, la soprano entame un Ave Maria que l’assistance n’a pas réclamé.
La soirée se passe plutôt bien, la mariée est ivre de joie et de champagne. Ses amies la célèbrent, powerpoint gênant et touchant à la clé, en mentionnant qu’elle réalise ici son rêve de petite fille - un mariage de princesse car elle l’a trouvé : son prince. Le prince en question, blond comme les blés, semble légèrement flétri par les quatre heures passées en plein cagnard, mais, à la table d’honneur, il sourit quand son nom est mentionné. La princesse, elle aussi blonde comme les blés, dans une robe explosion de tulle-passion dentelle vibre de joie et son énergie est communicative bien que - pour ma part - légèrement… effrayante.
Vers 3h du matin, je suis en train de discuter avec une amie à la table des queer des célibataires quand le marié vient nous voir. Il semble essoré comme on l’est après ce marathon que peut être une journée de mariage, surtout en plein été, surtout avec autant d’animations et de surprises... Il s’assied à côté de nous, soupir de soulagement à l’appui. La fête a commencé à se déliter, mais on entend bien, dans la salle d’à côté, les choix musicaux du DJ qui en pince pour Patrick Sébastien - la danse des canards était-elle nécessaire ? Quand au petit bonhomme en mousse, il a raté le plongeoir beaucoup trop de fois ce soir, il est temps de le laisser se noyer avec les canards.
Pleine de sollicitude et d’entrain, mon amie demande au marié :
-Alors, ça va ? Tu passes une bonne soirée ?
Il hausse les épaules :
-Oh, tu sais c’est, c’est un mariage, et puis… c’est ce qu’elle voulait. Elle, elle est contente au moins.
Mon amie me jette un regard facile à interpréter. MAYDAY MAYDAY JE VOULAIS JUSTE FAIRE DU SMALL TALK ! Je m’apprête à venir à sa rescousse en produisant un verre de champagne pour empêcher le marié de parler quand il continue, d’un ton parfaitement détaché :
-Au pire, je me remarierai.
Tu l’auras peut-être deviné, lecteurice, ce mariage s’est bien conclu par un divorce. Le deuxième pour ce cher monsieur.
Il y a mariage et mariage
En anglais, on utilise deux mots pour différencier le jour du mariage (wedding) de la relation dans la durée (marriage). Cette semaine, je commence une série sur le mariage comme événement aussi fertile que destructeur, symptome ou symbole de notre société.
Si j’ai envie de vous parler de mariages, c’est, bien sûr, que c’est la saison, mais aussi que j’adore les mariages. Ceux des autres surtout. Ceux qui durent une semaine (oui) comme ceux un peu à la sauvette suivi d’un verre au café en face de la mairie. J’aime particulièrement les mariages de fiction et l’un de mes préférés est celui qui conclut Le Rêve d’Emile Zola. Angélique, jeune brodeuse, tombe amoureuse de Félicien, fils de l’évêque2 de la cathédrale dont elle adore tant les saints (de la cathédrale, ne nous déconcentrons pas). C’est un très beau roman, à part dans la série souvent sublime, parfois sordide des Rougon-Macquart, où Zola dévoile ses talents de conteur et même de poète dans ce récit d’adolescence onirique entre rêve et cauchemar où scintillent les éclats d’un mysticisme qui anime l’héroïne jusqu’à la dévorer. L’amour triomphe pourtant et Angélique et Félicien, malgré leur différence de classe et l’opposition de leurs parents, parviennent à s’épouser dans une fin digne de conte de fées :
Pourtant, elle souriait toujours, elle songeait à cet hôtel princier, plein de bijoux et de toilettes de reine, où l’attendait la chambre des noces, toute de soie blanche. Une suffocation l’arrêta, puis elle eut la force de faire quelques pas encore. Son regard avait rencontré l’anneau passé à son doigt, elle souriait de ce lien éternel.
Alors, au seuil de la grand-porte, en haut des marches qui descendaient sur la place, elle chancela. N’était-elle pas allée jusqu’au bout du bonheur ? N’était-ce pas là que la joie d’être finissait ? Elle se haussa d’un dernier effort, elle mit sa bouche sur la bouche de Félicien. Et, dans ce baiser, elle mourut.
Le Rêve, Emile Zola
Un conte de fées où l’héroïne meurt donc. Plus Roméo & Juliette que Cendrillon. FUN !
Et pourtant, à l’âge où je l’ai lu, si je n’ai pas tout compris, j’ai ressenti un sentiment de satisfaction intense. Bien sûr qu’elle mourrait ! Et vierge de surcroît ! Mais quelle meilleure “happy end” que celle-ci ? Après tout, cela ne déparait pas de tous ces contes de fées et dessin animés qui se terminaient sur une scène de mariage après baiser consenti ou pas, mais qui nous épargnait la charge mentale, le château qui ne se nettoie pas tout seul, et le quotidien d’une reine vieillissante.
Plus récemment Materialists, le dernier film de Celine Song, commence par une longue séquence de mariage où la marieuse, interprétée par Dakota Johnson, est assaillie par les invitées qui n’ont qu’une hantise : ne jamais trouver le partenaire parfait (ici, exclusivement mâle) : 1m80, plus riche qu’elle, travaillant dans la finance. C’est de l’économie du mariage dont il est question ici, l’alliance comme symbole de réussite sociale, mais, plus pervers, de réussite en tant que femme cis - plutôt blanche dans le film- qui le vaut bien.
En France, on aime s’unir, mais pas forcément se marier
Le nombre de mariage depuis 2013 est sensiblement en hausse puisqu’on est passé de 238 000 à 247 000 en 2024 (données INSEE). Le PACS n’est pas en reste, puisqu’il représente 204 000 unions de son côté. Moins de 5% de ces unions sont des unions entre personnes de même genre3. Mais, rassurez-vous, cela ne les empêche pas de succomber à la pression du grand tralala.
Et même si le PACS progresse dans les chiffres, le mariage en tant qu’événement semble rester un point focal de nos cultures, de manière disproportionnée dans la culture populaire face à la réalité de français·es qui se marient de plus en plus tard, quand il·elle·s se marient. J’en veux pour exemple les nombreuses émissions de téléréalités qui se concentrent sur celui-ci - Love is blind, Mariés au premier regard, Ultimatum, le Bachelor…-
Et le mariage religieux vs le mariage à la mairie ? Je n’ai trouvé que peu de données fiables : les mariages catholiques se comptent à 40 000 environ en 2023 soit environ 16% du total des mariages. En 2019 le Nouvel Obs indiquait qu’un millier de mariages religieux juifs étaient célébrés et… j’en suis restée là. Mais la question de la dimension spirituelle du mariage est, elle aussi, importante. Après tout, les mormons s’unissent, eux, pour la vie éternelle et non pas jusqu’à ce que la mort les sépare. Quelle différence ? Quel poids sur les époux·se·s au moment de se dire oui ?
Passion mariage = passion argent
Pas de secret, le mariage est un business, et un business aux multiples tentacules. Pensez-y, l’industrie textile, cosmétique, les restaurants, les hôtels, l’industrie touristique, pharmaceutique aussi… Tout le monde semble invité à la grande fête du mariage. Dépensez, soyez heureux·se·s. Dépensez plus, soyez plus heureux·se·s. Performez votre bonheur de la préparation à la cérémonie.
En 2016, Emily Weiss - la fondatrice d’Into the Gloss et de la marque Glossier, publiait son guide de mariage, où tout ce qu’elle a fait pour se préparer physiquement au plus beau jour de sa vie. Depuis les créatrices de contenu (principalement) chroniquent leur propre préparation à leur mariage. Et dans un contexte de retour de bâton et de montée des conservatisme, le mariage fait vendre, à défaut de faire rêver. Evenement qui peut symboliser l’union choisie de deux individus dans tout ce que cela a de plus beau, il peut aussi se présenter comme le cheval de Troie d’une forme de néolibéralisme rampant.
Nous avons toustes une expérience du mariage : invité·e, marié·e, ou simplement car il est impossible d’échapper au mariage dans la pop culture. Mais que projette-t-on sur l’événement ? Tout cela c’est le programme du mois de juillet.
Ce que cette série ne sera pas :
Un moyen déguisé de faire du classisme en se moquant des mariages en salle des fêtes - on a bien assez des mariages dispendieux de milliardaires déconnectés pour se moquer jusqu’à la fin des temps (qui approche à cause d’eux).
Un réquisitoire contre la vie à deux, le fait de se marier ou le mariage hétéro car le business du mariage n’épargne personne (hmmm quoique…)
Ce dont je vais vous parler :
De l’influence des Etats-Unis sur la gigantisation du mariage à commencer par la course à l’EVG/EVJF/EVJNB4 les plus délirants, mais aussi à la digestion du rite par le capitalisme. Le mariage de Jeff Bezos et Lauren Sanchez n’en est que la dernière itération, une reproduction de bien d’autres mariages de célébrités avant eux - et pas le plus coûteux malgré son budget estimé à 20-25 millions de dollars.
Du mariage dans les séries télé, les films et la littérature : de Materialists de Celine Song à Quatre Mariage et un enterrement en passant par Sex and the City ou, plus récemment Kaulitz & Kaulitz.
Du rapport au corps qui est magnifié par le mariage, notamment sur le corps de la mariée avec l’influence de l’industrie pétrochimique des cosmétiques sur le sujet (l’industrie de la beauté n’existe pas)
Du business du mariage dans la télé-réalité avec une anthropologue dont c’est le sujet de recherche (excitation intense).
Et si on jouait un peu ?
Comment ?
Je vous invite à partager anonymement votre meilleure (ou pire) anecdote de mariage. Voici le lien google form. Je proposerai un florilège/ analyse dans le dernier post de la série qui sera disponible pour toustes les abonné·e·s.
Si j’ai déjà partagé l’une des miennes en introduction de cette lettre, j’en aurai peut-être de nouvelles d’ici fin juillet car, telle un journaliste gonzo qui ne serait ni misogyne ni alcoolique, à l’heure où vous lirez ces mots, je me serai moi-même mariée depuis quelques heures...
Laster arte !5
Toujours bonjour, toujours en basque
Oui alors, il l’a eu avant de devenir prêtre, le coeur brisé par le décès de sa femme.
Tel qu’assigné sur la carte d’identité. Il n’y a pas, à ma connaissance, de données plus fines sur les mariages cis/trans
Si le dernier acronyme ne vous dit rien : Enterrement de vie de Jeune non binaire
A bientôt !
"Au pire, je me remarierai."
Sophie en KO technique ce dimanche à 10h13
(Mais qui dit ça sérieux ??)
Génial, merci Marion !! 🙏 Cette scène d’ouverture 👌😂